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Une ville et des jeux. Tokyo 1964/2020 : mémoire, méga-événements et renouvellement urbain

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Résumé de stage
« Les Jeux Olympiques sont l’événement spatial par excellence puisqu’ils focalisent sur un lieu déterminé à l’avance l’attention du reste du monde. Cette combinaison d’unité de lieu, d’unité de temps et d’unité d’action offre à la ville et au pays choisis une visibilité qu’aucun autre événement n’est susceptible de proposer. Le site olympique devient, grâce au système médiatique mondial, le théâtre où se joue la mise en scène d’un monde apparemment plus équitable et plus ordonné et la mise en image des performances et de l’excellence (Bolle de Bal et Vésir, 1999). On comprend mieux la valorisation de ce site d’enchantement dans un monde désenchanté », écrit le géographe Jean-Pierre Augustin en 2008, suggérant que les Jeux Olympiques ne sont pas uniquement une compétition sportive mondiale mais également un acte de création et de diffusion d’une vision d’un monde (urbain) ordonné. C’est à cette valorisation de ce « site d’enchantement dans un monde désenchanté », qui se veut performative, que je souhaite m’intéresser dans mon travail. Il s’agira de questionner l’organisation des Jeux olympiques de Tokyo de 2020 comme acte d’ordonnancement du monde, de contrôle pratique et symbolique de l’espace (urbain), forcément piloté par certain.e.s acteurs.trices. Le slogan des Jeux Olympiques de Beijing 2008, « One world one dream », s’il est le reflet d’une rhétorique olympique idéaliste, est tout aussi bien révélateur du fait que derrière le projet olympique, un monde est en jeu, ou du moins la vision d’un monde, tel qu’il devrait être et tel que la promesse olympique se propose de le faire advenir. C’est justement au coeur de cette dimension projectuelle que me semble résider toute la légitimité de prendre comme objet principal des Jeux olympiques pour l’instant de papier, non encore advenus - même si je montrerai plus loin que mon questionnement ne s’y limitera pas. L’idée qui guide mon travail est que cette manière de se projeter dans et par l’olympisme en dit long sur les manières de faire ville, de donner du sens aux espaces urbains, d’en contrôler et d’en organiser les mutations - et ce notamment dans le cas japonais, puisqu’il s’agira d’interroger le projet olympique comme tentative de contrôle à la fois matériel et symbolique d’un environnement qui, sous bien des aspects, échappe, en pensant de manière dialectique la maîtrise de l’espace - comprise dans un sens large de maîtrise des transformations spatiales aussi bien que sociales - et l’incertitude. À travers le projet olympique, c’est à la ville et plus largement à l’habiter que je souhaite m’intéresser, un habiter compris comme rapport des humain.e.s à leur environnement dans un sens large et comme manière de « se construire en construisant le monde ». Et c’est en partie pour être en mesure de mieux interroger cette ville et cet habiter que j’ai voulu donner à mon sujet une dimension historique, en choisissant comme porte d’entrée un questionnement sur la place des mémoires des Jeux de Tokyo 1964 dans le projet olympique de 2020, dont les enjeux seront expliqués en détail plus loin dans ce travail.
 
Le choix de m’attacher à un projet olympique et de l’interroger en lien avec les transformations urbaines procède de l’hypothèse que l’étude des Jeux olympiques offre un angle de vue pertinent sur les espaces urbains, et qu’il y a en jeu derrière ces événements bien plus qu’une compétition sportive. Phénomènes planétaires, monstres médiatiques, juteuses opportunités économiques, les Jeux olympiques engagent de nombreux processus qui interrogent les espaces urbains. Ils doivent être replacés dans des évolutions plus globales, dont ils sont le produit, auxquelles ils contribuent, et sur lesquelles ils renseignent - autant de mutations qui sont liées de manière croissante à celles des villes. Ainsi, nombreux.ses sont les auteur.e.s à s’être penché.e.s sur l’histoire du mouvement olympique moderne et à avoir mis en avant la nature et l’échelle changeante des Jeux ainsi que leur caractère de plus en plus en plus urbain. Si à leurs débuts les Jeux, peu concurrentiels, représentent principalement des instruments de la compétition entre nations et empires, des outils géopolitiques qui permettent de faire la démonstration de la puissance industrielle, du pouvoir culturel et de l’hégémonie politique, avec des impacts urbains relativement limités, ils deviennent à partir des années 1960 - en raison en partie de leur couverture médiatique croissante et des revenus importants liés à la vente des droits télévisuels - de plus en plus concurrentiels et de plus en plus favorisés par les villes-hôtes comme moyens de transformation urbaine (Essex & Chalkley, 1999 ; Shoval, 2002 ; Andranovich & Burbank, 2011). Les Jeux sont partie prenante de la compétition métropolitaine pour les ressources, les investissements internationaux et les flux touristiques - et en cela, ils sont une des formes de la globalisation des sociétés : spectacles médiatisés à l’échelle mondiale, marques internationalement reconnues, ils participent à plein aux flux transnationaux et inter-métropolitains de circulation du capital, des connaissances, des compétences, des marchandises, des référents urbains (Tolzmann, 2014). L’urbanisation de l’olympisme est à penser en lien avec le processus de métropolisation, qui a lui-même partie liée avec la globalisation, l’accueil des Jeux était considéré comme un moyen pour les villes globales, métropoles ou autres villes qui aspirent à l’être de gagner en compétitivité et de se singulariser en augmentant leur capital symbolique et en se transformant en centres de tourisme et de consommation culturelle (Essex & Chalkley, 1999). Cette urbanisation-métropolisation des enjeux olympiques est elle-même articulée à une évolution plus générale des manières de fabriquer et de gouverner les villes. On se situe ici en plein dans cette « ville festive » caractéristique du capitalisme avancé décrite par la géographe Maria Gravari-Barbas, ville « dans laquelle l’ambiance et l’esthétique de la fête transcendent la conception, la planification et l’aménagement urbain », où la dimension événementielle ne se limite plus à des moments circoncis dans le temps mais tend à guider la fabrique même de la ville (Gravari-Barbas, 2000, 2009). Cette ville festive, ville événement, est une ville en projet : l’urbanisme festif est un urbanisme de projet, la concurrence entre les villes s’exprimant par l’intermédiaire de projets à haute valeur ajoutée et à fort potentiel d’image (Gravari Barbas, 2009). De nombreux.ses es auteur.e.s ont souligné l’interdépendance croissante entre la géographie des Jeux olympiques et les politiques urbaines, et, plus largement, la course contemporaine à l’olympisme est à comprendre au regard des mutations de l’urbanisme lors du dernier demi-siècle, où s’opère un glissement d’un urbanisme fonctionnaliste, généraliste, à un urbanisme de projet, souvent articulé à un urbanisme d’image, considéré comme moyen ultime de singulariser les territoires et de les rendre compétitifs (Charrié, 1996 ; Augustin, 2008). L’idée ici n’est pas de faire un état complet de l’histoire du mouvement olympique, mais de dégager quelques enjeux globaux du rapport entre olympisme et villes, de donner quelques premières pistes de généralisation, et surtout de montrer que les Jeux olympiques sont aujourd’hui peut-être plus que jamais intimement liés à la fabrique de la ville, et qu’il est en cela riche de s’attacher à un projet olympique pour interroger aussi bien la production des espaces urbains que les évolutions des rapports à la ville et de l’habiter urbain de manière plus générale.

Le choix d’un tel sujet et de son terrain procède également de raisons peut-être un peu plus personnelles. Les Jeux olympiques sont un objet extrêmement complexe aux dimensions multiples, qui se prête à une multitude d’approches toutes aussi pertinentes les unes que les autres - le nombre de disciplines qui se sont attachées à leur étude, sans compter les perspectives différentes au sein de ces mêmes disciplines, en est révélateur. Cela rend mon travail à la fois plus facile (la littérature est abondante et les apports riches et diversifiés) et plus difficile (mais que choisir ? où s’arrêter ? comment faire le tri ?). Cela en fait surtout un objet très stimulant pour l’étudiante que je suis, ce d’autant plus que j’ai choisi de l’aborder selon un angle qui m’était peu familier avant de me lancer dans ce travail. Ensuite, l’accueil des Jeux olympiques est un sujet de société : apprécié ou contesté, il fait débat dans des sphères qui dépassent celles du monde de la recherche, et il m’intéressait de travailler sur un tel sujet de débat. Cela rejoint par ailleurs un des points qui m’a causé le plus de difficultés dans ce travail : les Jeux olympiques étant à la fois un objet de recherche, et un événement d’actualité - concret, localisé -, comment combiner un questionnement plutôt fondamental sur la fabrique de la ville et l’urbanité à un questionnement plus spécifique - sur les implications de tel projet olympique, dans telle ville-hôte ? La suite dira si j’ai su apporter des éléments de réponse à cette question. Enfin, si le choix du projet olympique de Tokyo 2020 s’explique par moult raisons toutes plus académiques les unes que les autres, comme je tâcherai de le démontrer dans la partie suivante de ce travail, la réalisation d’un terrain tokyoïte est également liée à la volonté de pouvoir bénéficier d’une expérience de recherche au Japon, et à une forme de fascination pour cette ville dont l’apparent désordre paradoxalement très ordonné m’intrigue. C’est pour moi une magnifique opportunité que de pouvoir porter un regard scientifique, ne serait-ce que rapide, sur Tokyo.

Après avoir donné un aperçu resté très général des lignes directrices de mon sujet de mémoire, j’ai commencé à expliquer l’intérêt de se pencher sur le projet olympique pour comprendre aussi bien la fabrique de la ville que les évolutions de l’habiter dans des sociétés globalisées, en montrant comment les évolutions de l’olympisme sont articulées à celles des villes et des sociétés et en dégageant quelques grands enjeux globaux de l’étude des liens entre ville et olympisme. Je vais désormais m’attacher plus précisément à mon objet de recherche, c’est à dire au projet olympique de 2020 à Tokyo et à son articulation avec les Jeux de 1964 ; mon but sera de poser un cadre global de contexte, de préciser mon sujet, de clarifier les hypothèses qui ont guidé son choix et de faire preuve de sa pertinence. Après quoi, je reviendrai plus en détail sur le cadre théorique qui a fondé mon questionnement, sur ses implications, sur l’intérêt et l’enjeu de lier projet olympique et ville, 1964 et 2020, renouvellement urbain et mémoires. Je détaillerai ensuite la problématique qui guidera mon travail, puis j’expliquerai la méthodologie que j’ai pensée pour traiter ce sujet, en offrant plus de précisions sur les éléments qui constituent mon terrain. Les troisième, quatrième et cinquième partie seront dédiées à la restitution des analyses des données récoltées et à leur mise en discussion.